[PV] ~> La boîte de Pandore

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Ce n’était désormais plus un secret pour personne : le boss allait faire de Cambridge, son terrain de jeu… Pour sauver sa peau, il fallait mieux intégrer le gang… Mais certains pensaient plutôt à une offensive… Impensable pour tous esprits sains : il en fallait beaucoup pour tuer le cerbère qui protégeait Andrew… ne serait-ce que l’approcher… Si elle se sentait en danger, elle exécutait sans sommation… Mais voilà, il y a avait dans ce monde, de biens viles créatures… Peter était l’un d’eux… Aujourd’hui, il allait tenter le tout pour le tout… Si cela ne marchait pas, il courrait droit à sa mort, mais si, en revanche, son plan fonctionnait, le maillon fort de la chaîne allait céder sous ses yeux… Il priait alors pour que la nippone, cette sanguinaire dénudée de morale, ait, sous ce voile de violence, un cœur capable d’éprouver des sentiments… des bons comme des mauvais…la jalousie, l’amour…

On lui avait donné rendez-vous aux cascades : elle n’écartait pas la possibilité qu’un guet-apens soit monté contre elle ; Bāndô était armée d’un calibre, ce n’était pas son style mais elle préférait pas jouer les kamikaze alors que le clan connaissait une ascension certaine. Bras croisés, elle attendait patiemment son invité, regardant fixement la chute vertigineuse de l’eau qui s’écrasait plus bas contre les rochers. Au sommet de la cascade, la nippone ne bougeait pas d’un cil… Un bruissement de feuilles se fit entendre ; elle regarda de biais le buisson d’où émergea un adolescent. Il avait la mine chafouin, comme si il se préparait à un mauvais coup. Ce qui l’inquiéta, c’était ce sourire en coin : ce garçon était beaucoup trop sûr de lui pour faire face seul, à l’assassine. Elle jeta alors des coups d’oeils ci et là, mais rien. Se tournant vers lui, elle le laissa parler ; il se la racontait, toujours avec cette assurance déplacée vu la situation. L’universitaire finit par sortir de son sac une enveloppe qu’il tendit à Urushima, cette dernière n’ayant pas soufflé mot depuis le début de la rencontre. Que lui voulait-il, ce chauve ?
Lorsque le cliché qu’elle sortit de l’enveloppe se dévoila à ses yeux, le visage de Bāndô devint livide : le photographe se réjouissait de l’effet de ses images sur la nippone. Apparemment, elle n’était pas si insensible qu’on le disait…
Elle lui tourna alors le dos, et s’avança plus vers le vide, le regard posé sur la bonne dizaine de photos qu’elle tenait entre les mains. En un premier temps, un sentiment de malaise se saisit d’elle ; la japonaise se sentit défaillir, elle était prise de nausée, si elle avait été seule à ce moment là, elle se serait peut-être laissée tomber au sol, car elle peinait à tenir sur ses jambes. Son sang ne fit qu’un tour, son estomac se contracta, son esprit saturé, ne parvenait plus à penser. Ce cœur qui si longtemps avait été endormi, hurlait à la mort… Violent réveil…
Puis, un tout autre sentiment intervint en second plan, quelque chose de puissant, d’intense… La colère monta…comme la lave se profile dans le sol, une rage sans précédent s’empara d’elle ; un frisson parcourut son échine : se poings se refermèrent… Shinya.

Le garçon, voulant profiter de cet instant de déséquilibre, s’avança à pas de loup vers la nippone : il la faisait basculer dans le vide et s’en était finit de la terreur qui mettait à feu et à sang les anciens territoires de ses patrons. Mais il ne se doutait pas du mal qu’il avait semé… : un sentiment incandescent, brûlant l’âme écorchée de Bāndô… Mettre en furie en diable était la pire erreur que Peter eut fait de sa vie…courte vie…
Elle cacha les photos dans sa veste et lui prit le bras alors qu’il voulait la pousser dans la gueule des eaux : la nippone lui planta ses ongles dans le crâne, avant d’abattre la tête du malheureux sur le rocher à ses pieds. Le premier coup l’avait tué, mais Urushima ne cessa pas de l’éclater contre la pierre, prise d’une folie meurtrière. Il ne restait plus grand-chose du crâne de sa victime lorsqu’elle se calma assez pour reprendre ses esprits. Haletante, elle regarda autour d’elle, comme un animal traqué…poursuivie par la jalousie qui tentait alors de faire d’elle, un concentré de haine. Son regard hagard traduisait son mal intérieur ; elle posa ses menottes ensanglantées sur son front, qu’est ce qui lui arrivait ? Pourquoi le monde semblait s’écrouler autour d’elle ? Bāndô perdait la raison… Que faire… Fuir dans la violence, ce qu’elle avait toujours fait… Son poing s’écrasa contre le tronc d’un arbre : cela ne l’avait pas calmé, malgré la force du coup qui lui valut de s’ouvrir la main.

Un quart d’heure plus tard, Urushima se trouvait là, assise en tailleur sur un rocher, tête baissée… Ses poings étaient jonchés d’échardes… Les arbres autour, étaient tâchés de sang, et leur tronc, légèrement enfoncé vers l’intérieur… Elle respirait avec difficulté : tout était encore noir dans son esprit chaotique…
Shinya n’allait pas tarder : Bāndô lui avait envoyé un sms, lui disant de venir le plus vite possible, sans d’autres explications…

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Shinya avait reçu le message impératif, concis et efficace de Bandô. Elle ne se douta pas de la tempête qui se préparait, puisque son amie n’avait pas l’habitude de s’épandre en politesses ni par sms ni de vive voix. Elle estima seulement que ça devait être urgent et que son amie avait besoin d’elle pour régler une quelconque affaire ou c’était peut être un problème avec les putes… Par chance ou malchance, Shinya se trouvait à proximité des cascades. Elle s’y rendit donc directement à pied.

Elle repéra la chevelure de son amie et s’étonna de la voir ainsi recroquevillée. Elle remarqua aussi l’était inquiétant de quelques arbres alentours. Elle n’avait pas vraiment de doute sur le fait que ces dégâts aient été causés par Bandô. Mais elle n’avait pas envisagé que cette violence puisse être tournée contre elle. Elle s’avança donc d’un pas assuré, une cigarette entre l’index et le majeure. Elle présenta son paquet ouvert à son amie :

« Tu m’as l’air sur les nerfs, clope un coup ça te détendra. »

De plus près, l’état de ses mains confirma à Shinya ce qu’elle avait envisagé. Elle attendit simplement que son amie se calme et lui explique pourquoi elle l’avait fait venir. Elle souffla lentement la fumée par la bouche et le nez. Un instant de sérénité avant que la bombe atomique n’explose.

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Bāndô était déchirée entre deux sentiments : haine et désespoir. Tous deux se disputaient l’esprit chargé de la nippone, pour le dominer, et ainsi faire d’elle, soit une incomprise, qui décidément ne saisissait pas ce monde –ou peut-être le connaissait-elle trop-, ou une furie qui détruirait tout sur son passage, à défaut de savoir s’exprimer. Dans les deux cas, Shinya allait trinquer…

La voilà qui arrivait… L’aisance de son amie affûta sa rage, prête à exploser à n’importe quel moment. Mais pour l’instant, elle ne perdait pas le nord… Bāndô fit voler le paquet de clopes de Shinya d’un geste : refermant son poing, elle le ramena à elle, extirpant les échardes ; cela l’aidait à contenir sa haine, en se concentrant ainsi sur une tâche « déstressante ». Mais l’on voyait bien dans son regard de braise qu’elle était prête à anéantir le premier qui la contrariait.
Ses mains tremblaient : elle serrait les dents, comment se retenir de pulvériser celle qui venait d’écorcher vif ce cœur tout nouvellement ressuscité ?

« J’espère que t’en as bien profité… Ils étaient plus bons que la moyenne ? Andrew a bien des trips SM ? C’était dans ton programme de te baiser toute l’assistance ? Tu cherches quoi au juste… »

Sa voix aussi tremblait, elle avait du mal à se faire comprendre…

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Shinya vit son paquet de clopes s’envoler et perçut enfin le regard noir de son amie. C’est alors qu’elle sentit que cette haine était tournée au moins en partie vers elle, ou qu’elle allait servir de punching-ball. Instinctivement elle recula lentement d’un pas et observa Bandô qui ôtait minutieusement les échardes de ses paumes. Sa concentration n’annonçait rien de bon et Shinya tentait de deviner quelle était la raison de sa colère. Qu’avait-elle donc fait qui la mette dans cet état ?

Quand son amie prononça le prénom du boss, elle comprit alors quel était son forfait. Par pures coïncidences, elle avait rencontré Andrew dans le parking avant qu’il ne soit son « boss » et ils s’étaient plutôt bien entendus contre la carrosserie froide de sa voiture. Et le sort s’était acharné en la mettant en présence d’un autre membre du gang, l’anglais aux cheveux blonds… Avec lui, il s’était passé toute autre chose, il l’avait pour ainsi dire violée sous la menace d’une arme à feu. Son amie l’avait mise en garde de ne pas mettre le grappin sur ceux du gang. Elle avait acquiescé ne sachant pas qu’elle avait déjà commis les délits que Bandô lui interdisait.

Malgré les paroles embrouillées de Bandô, Shinya avait compris brusquement de quoi elle parlait. Elle était elle-même restée sans voix en faisant connaissance avec les membres du groupe. Un accord tacite avait été passé : Bandô ne devait rien en savoir. Et pourtant à présent elle semblait très au courant. Shinya commença à se justifier sans conviction, elle savait que la colère de son amie n’était pas facile à apaiser :

« Uhm… J’sais pas comment c’est arrivé à tes oreilles, mais j’t’assure que ça s’est passé avant que je ne sache qui ils étaient. J’avais même pas leurs prénoms… C’était pas… planifié… »

Elle était un peu nerveuse mais n’en laissait rien paraître. Elle se demanda pourquoi son amie semblait si affectée par ces révélations, ça paraissait trop violent pour que ce soit une simple histoire de conventions. Se pouvait-il que son amie soit…Non c’était impossible. Pas Bandô.

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A vrai dire, Shinya aurait mieux fait de fuir à la seconde où son regard croisa l’ardente lueur des yeux de Bāndô.
Bien entendu, la nippone n’avait pas eu vent des circonstances dans lesquelles cela arriva : elle ne savait pas que son amie n’y était pour rien, mais elle ne voulait rien savoir, le mal avait été fait, elle n’était pas prête à écouter les justifications de la nymphomane. Urushima prit les photos coincées dans la poche intérieure de sa veste ; elle les jeta dans le vide face à elle… Les clichés s’envolèrent au gré du vent… Elle les regardait, la main sur son visage, le regard dur.

« Comme si un jour t’avais réfléchi avant de t’enfiler le premier venu… T’as toujours été comme ça… C’est vrai… Je vois pas pourquoi tu changerais… C’est pas moi qui t’interdirais de baiser, je me trompe ? Tu t’es dis que la pauvre conne que je suis ne verrais rien… »

Shinya commençait à se douter des sentiments de son amie ; certes, elle engageait souvent des colères noires, mais cette fois-ci, elle semblait vraiment troublée.

« Une pute lui tourne autour, je dis rien… Il fait ce qu’il veut… Mais que tu te fasses une orgie avec toute la bande… Putain Shinya… qu’est ce qui t’as pris….»

Enfouissant son visage dans ses mains ensanglantées, Bāndô signa une pause : elle avait de plus en plus de mal à parler clairement, son sentiment de rage commençait lentement à dominer son marasme. La nippone ramena sa menotte à l’intérieur de sa veste : Shinya put voir l’argent étincelant d’un Desert Eagle. Tenant le calibre entre ses mains, Urushima s’adressa à Makkuro, d’une voix placide…

« Donne moi une bonne raison de pas te flinguer… »

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Les photos s’envolèrent et éclairent Shinya sur l’origine de cette révélation. Elle nota dans un coin de sa tête d’aller égorger le petit malin qui s’amusait à la suivre et à prendre en photo ses ébats. Mais pour le moment, elle avait de plus graves préoccupations. La colère de son amie semblait enfler à n’en plus finir. Shinya ravala un moment toutes ses justifications, s’escrimer à vouloir sauver les apparences ne changerait rien. Elle dit simplement à son amie :

« Je ne savais pas qui ils étaient. »

Elle recula encore d’un pas, sentant que tout pouvait dégénérer d’une seconde à l’autre. Qu’est-ce qu’il lui avait pris ? Rien de plus qu’à son habitude. Un badboy dans un parking, un homme qui la menace au Beretta… Comment aurait-elle pu savoir ? Comment aurait-elle pu éviter ça ? Quand l’arme de son amie scintilla, elle eut le souffle coupé. Bandô se déplaçait très rarement avec une arme à feu, car elle n’aimait pas s’en servir et préférait les procédés plus spectaculaires. Une boule dans la gorge, Shinya se demanda si son amie s’était munie de cette arme afin de la tuer sans trop d’humiliation, histoire d’honorer leur amitié en mettant fin à ses jours proprement. Elle adressa un regard à son amie et lui dit :

« Une seule raison ? J’vais pas te dire au nom de l’amitié… Parce que je suis sûre de me prendre une balle entre les deux yeux. Mais par contre, j’peux te dire que je n’avais aucune envie de te mettre dans cet état… C’est pour ça que quand je me suis rendue compte qu’ils faisaient parti du club, je ne te l’ai pas dit… Et en plus… Ce sale porc de blondinet, j’avais aucune envie de me le faire. Mais il avait son flingue dans la main… Putain, Bandô fais pas de connerie. Si j’avais su pour Andrew, j’aurais passé mon chemin… C’est juste ce putain de sort qui s’acharne. »

En effet, il semblait difficile de croire que sur les milliers d’étudiants d’Harvard, il avait fallu que Shinya couche avec les deux auxquels son amie tenait sans que la chanteuse n’en soit encore certaine. Shinya paraissait vraiment désolée et c’était vrai, elle en venait même à maudire sa nymphomanie et son attirance pour les « coups d’un soir » et « rencontres inopportunes ». Si elle n’avait pas commencé à faire du charme au Badboy, elle n’en serait pas là…

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Shinya démentit les préjugés de Bāndô, mais rien à faire, la nippone se refusait à écouter son amie. La chanteuse savait plus que quiconque, que de voir l’assassine, une arme à feu entres les mains, était proprement inhabituel… Depuis son arrivée aux States, elle prit son Desert Eagle pour deux occasions seulement ; Wendy, et ce coup ci, alors qu’elle croyait qu’on lui tendait un piège. Ces deux seules fois où elle comptait s’en servir, les sentiments s’y étaient mêlés… Cela montrait bien qu’elle commençait à perdre la raison pour de bon…

Bāndô porta son poing fermé à ses lèvres, se mordant la peau ; ses yeux étaient humides…

« J’ai mal…Shinya… »

Elle articula ces derniers mots avec difficulté : c’était bien la première fois que Makkuro la voyait dans un état pareil… Celle-ci avait enfoncé la carapace qu’Urushima s’était forgée au fil des années, pour faire disparaître à tout jamais l’innocence de son personnage jadis épanoui et heureux… Et voilà que cet aspect de sa personnalité réapparaissait, relique enfouie dans les abîmes, qui surgissaient aux yeux de l’amie de cette âme torturée…
Comme un enfant de huit ans, âge auquel elle cessa de grandir, Bāndô avait bien du mal à exprimer le chaos qui se tramait dans les coulisses de son cœur… Pour illustrer ses mots, elle porta sa main à son ventre, refermant le poing…

Les paroles de Shinya ravivèrent sa rage, qui balaya en un instant l’enfant désoeuvrée qui tentait de faire part à son ami, du mal-être qui la hantait en ce moment même. Le personnage d’Urushima était déroutant ; elle pouvait passer d’une môme innocente à une adulte véreuse…

« Nan en effet… L’amitié c’est un bien grand mot pour résumer notre prétendue “relation”… Et moi qui croyait encore à ses conneries… Le jour où je t’ai vu débarquer dans nos vies, t’étais tombée du nid, t’avais rien à faire là mais on t’as accueilli… Envolée de ta cage dorée… Princesse… J’aurais du me méfier de toi plus tôt… »

Shinya avait intégré les rebus de la société, il y a de cela des années, alors qu’elle venait d’une famille aisée, et qu’elle avait tout pour elle. Mais l’hypocrisie de ce milieu ne lui convenait pas, elle était à la recherche du vrai, de la réalité de la vie, qu’était la situation de ces cas sociaux…

« Toi et moi… Nous sommes…différentes… »

Bāndô coulait un regard vide sur le canon de son arme… Shinya disait être victime d’un viol ; en temps normal, cela n’aurait pas étonné la japonaise, elle-même victime d’Ethan, mais dans son état actuel, où elle voyait rouge, Makkuro lui apparut comme la dernière des pétasses qui essayait alors de se sauver en collant un délit à son soi-disant agresseur…

« T’es plutôt bonne actrice, je te l’accorde… »

Urushima se leva enfin, tranquillement… Elle fixait toujours le vide qui s’offrait à elle…

« Le sort ? Il va en effet s’acharner sur toi je crois… du moins, je vais l’y aider… »

Elle s’avança alors vers Shinya, silencieuse… La crosse de l’arme s’abattit sur le visage de son amie, qui dû alors tomber sous le coup. Bāndô, une main dans sa poche, regarda, dépitée, le Desert Eagle sanglant : elle n’avait éprouvé aucun plaisir à la frapper. Improbable… elle s’était toujours réfugiée dans cette violence jouissive, sa raison de vivre, pourquoi ne ressentait-elle aucune satisfaction ? Ses sentiments avait fait de la nippone, l’ombre d’elle-même, elle n’était plus rien…

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La voix tremblante de son amie la dérouta encore plus. Un frisson de surprise et d’effroi lui parcourut le dos. Bandô avait mal, Bandô avouait qu’elle avait mal. Et Shinya se maudit encore davantage, durant toutes ces années d’amitié, elle ne l’avait jamais vu dans cet état. Et en plus, elle souffrait par sa faute. Elle voulut faire un mouvement envers son amie, mais entre les deux jeunes femmes il n’y avait jamais eu de geste d’affection, de confidences larmoyantes ou sentiments exposés. En vérité, l’amitié des deux japonaises ne reposait que sur leurs attitudes de cas sociaux, sur leur rapport de force. Une complicité dans le méfait mais aucune tendresse ou partage.

Et voilà qu’elle lui ouvrait son cœur pendant quelques secondes, le cœur qu’elle lui avait brisé. Et Shinya se retrouvait les bras ballants, plus démunie que jamais, ne sachant vraiment pas comment réagir. C’est alors que la haine s’empara de nouveau de son amie éclipsant sa sensibilité à peine dévoilée. Etrangement, Shinya ressentit un soulagement, elle connaissait la Bandô qui sort de ses gonds et frappe à tout va. Elle était à la fois rassurée et inquiète de la tournure que prendraient les évènements.

Bandô évoqua leur rencontre, l’accueil que les cas sociaux du collège lui avaient réservé. Elle en avait toujours été reconnaissante envers Bandô, mais ne lui avait jamais dit. C’est une des nombreuses discussions que les deux nippones s’étaient tacitement interdit d’avoir. Les remerciements la larme à l’œil et l’étreinte réconfortante étaient des activités de chiffes molles. Et on l’avait compris, les deux blondes étaient fortes, dures, insensibles, ou du moins voulaient le paraître :

« Différentes… Je te l’accorde. Mais tu ne cherches pas un doublon ? Rassure-moi. Ecoute, j’suis vraiment désolée. Si j’avais pu prévoir ça, j’aurais agi autrement… »

Bandô ne croyait pas à sa version du viol. En même temps, ça n’avait rien d’étonnant, elle avait une telle réputation d’allumeuse et de nymphomane que n’importe qui dirait qu’elle l’avait bien cherché, ou mérité. Et la plupart iraient jusqu’à affirmer qu’elle essayait d’accuser quelqu’un à tord et que si quelqu’un avait été violé c’était plutôt le garçon que la japonaise en cuir. C’est ainsi que Shinya réalisa qu’elle avait peut être une image pire que les filles qu’elle gérait. Elle s’était toujours moquée de l’opinion des autres jusqu’à présent, que lui arrivait-il donc ? Etait-ce la voix affaiblie de son amie qui lui avouait sa douleur qui l’avait bouleversée ?

Alors que Shinya tentait de reprendre contenance et de ne pas montrer son trouble, elle reçut un violent coup. Le choc la jeta au sol, elle porta sa main à son front. L’arcade était ouverte et le sang coulait abondamment le long de son visage et sur ses paupières jusque dans son œil. Elle ignora la douleur pour relever les yeux vers son amie. Elle recula un peu à tâtons en essayant d’arrêter l’hémorragie d’une main, elle lui dit d’une voix peu assurée :

« Bandô… Arrête… Je sais que je le mérite. Que je vaux pas mieux que toutes les putes du Pacha. Mais c’est vraiment ce que tu veux ? Me tuer ? Me frapper ? Je n’sais pas ce qui te met dans cet état… Mais vraiment, j’me sens comme une merde d’y avoir contribué… Bandô… »

Elle avait du mal à s’exprimer, ce n’était pas son fort de réconforter les gens et de se repentir. Habituellement, elle emmerdait le monde entier, se fichait éperdument de faire du mal aux autres, ne vivait que pour elle. Seulement cette fois c’était Bandô. Bandô, la forteresse imprenable qu’aucun assaut ne pouvait atteindre. Et malgré elle, Shinya l’avait fait s’effondrer.

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Celle qui refusait d’exprimer sa douleur, condamnant toutes plaintes, ne cillant plus lorsque qu’elle recevait les violences de son géniteur, restant silencieuse face à son mal-être alors que les psychologues s’arrachaient les cheveux, avouait souffrir en ce moment même, à une fille sur laquelle elle ne se serait jamais reposé.
Deux autistes…
Incapables de montrer l’affection qu’elle s’accordait mutuellement… Un manque cruel dont elles s’étaient passées jusqu'à maintenant. Shinya était totalement désemparée…

« Une autre moi ? Le monde s’en passerait bien… Seulement, je t’accordais ma confiance… Au-delà de ce manège, que tu nous joue en permanence, comme moi…je pensais vraiment que nous avions la même vision des choses… Nous nous respections… l’une et l’autre… Mais je me suis encore trompée… Je vois que mes choix n’ont rien empêché : je tombe encore… Comme avant… Mais maintenant… Je suis forte… Et je peux à mon tour faire du mal… »

Voilà qu’elle s’exprimait encore comme une enfant…
Le choix qu’elle avait fait de devenir ce qu’elle était aujourd’hui, s’avérait contestable, car les efforts qu’elle avait fait pour se bâtir une coquille, se voyait réduit à néant, balayé par les méfaits de Shinya. Le marasme de Bāndô s’échoua dans l’âme de son amie, qui désormais, voyait clair dans ses agissements. Mais la repentance n’était pas au menu, « destruction » était le mot d’ordre pour le moment, et il s’agissait ici en l’occurrence, de la fin de Makkuro Shinya…

« Te frapper ? Regarde… ça ne m’apporte aucun plaisir… Je crois que ta mort m’apaisera… Shinya… Je te déteste… Je te haie… Il me le dit… »

Portant sa main armée sur son cœur, elle illustrait toujours ces paroles, incomprise qu’elle était…

« Ce qui m’a mis dans cet état… ? Quel état ? De quoi tu parles… Tu vois… Tu ne sais plus ce que tu dis… Il faut que je t’aide à mourir… »

Deux balles vinrent se ficher dans l’abdomen de Shinya…
Les coups de feu sonnèrent comme une mélodie aux oreilles de Bāndô…

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Bandô s’obstinait, elle ne voulait pas voir ou envisager que son amie n’était pas réellement coupable de ce qu’elle lui reprochait. La haine l’aveuglait et elle ne voulait entendre ni prendre en compte aucun des arguments de la nipponne qui se trouvait au sol et qui perdait toujours beaucoup de sang. Shinya sut à cet instant précis que Bandô ne lui ferait plus jamais confiance. Que si elle survivait à la fureur de son amie, leur relation ne serait plus la même. Une méfiance mutuelle s’installerait. Et il y aurait encore et toujours cette incapacité à communiquer la tendresse qu’elles avaient l’une envers l’autre. Une tendresse qui venait peut être de mourir à jamais.

Shinya se releva prudemment, la tête lui tournait et le sang ruisselait jusqu’au sol. Elle perdit l’équilibre et s’appuya contre le tronc d’un arbre. Elle tenta de reprendre ses esprits et regarda son amie :

« Mais nous avons la même vision des choses… Ce que j’ai fait… Je ne l’ai pas fait pour te faire du mal. Je… Je te respecte, Bandô. Putain… Si j’pouvais remonter dans le temps, j’éviterais le parking et les patios. Ecoute-moi… »

Mais son amie n’avait aucune envie de l’écouter. Elle restait bornée, obstinée dans la voie qu’elle avait choisi d’emprunter. Depuis que Shinya avait reçu le texto qui lui disait de se rendre aux cascades, son sort était déjà joué. Un ouragan n’aurait pas détourné Bandô de sa vengeance. Shinya essaya de comprendre, d’arracher à son amie quelques mots :

« Tu ne me haies pas. Arrête de mentir… Je crois plutôt que tu aimes. Et que, sans le savoir, j’ai touché à celui que tu aimais… Mais… C’est lequel des deux, Bandô ? »

Shinya savait qu’elle jouait avec le feu en provoquant ainsi son amie. Insinuer que la machine à tuer qu’était la nipponne aimait était dangereux. Il y avait plusieurs possibilités, soit Bandô ouvrait enfin son cœur à son amie soit elle était encore plus en colère et la chanteuse devrait en subir les conséquences. Le regard de son amie prit une fermeté plus grande encore, elle brandit son arme avec volonté en prononçant ses dernières paroles. Shinya sentit alors que son heure était venue. Elle ferma les yeux avec résignation. Pan. Pan. Une douleur intense la fit chanceler, la chaleur du sang qui se répand sur son corps et la froideur du néant qui l’enveloppe… Shinya tomba au sol, son corps se recroquevilla tandis qu’elle lâchait dans un dernier râle :

« J’ai pas… voulu… »

Elle perdit immédiatement connaissance.

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Des élèves furent alertés par les coups de feu et ils trouvèrent le corps inerte de la jeune nippone dans une mare de sang. Une ambulance fut appelée aussitôt et elle emmena Shinya à l’hôpital.

[--> Hôpital]

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La confiance… Une chose précieuse aux yeux de Bāndô… anéantie… Plus personne ne pourrait se vanter d’être une personne de valeur aux yeux de la nippone…
Shinya ne parvint pas à ses fins : aucuns mots ne s’échappèrent des lèvres figées de son amie… La chanteuse se mourrait à ses pieds… Urushima ne ressentit aucun remords… ni aucune satisfaction…le Néant…

« Mais tu l’as fait… »

Elle tourna le dos au corps ensanglanté de Shinya, et s’effaçant dans l’ombre, elle laissa échapper des paroles inaudibles, réponses aux interrogations de sa victime…

« Peut-être… Les deux… »

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Le toit du plus haut immeuble de la ville… Un véritable refuge pour Bāndô…
Elle était assise, au bord du vide, contemplant le visage nocturne de la cité… Le canon encore brûlant de l’arme vint se poser sur son crâne. Non… son heure n’était pas venue…
Urushima laissa tomber son Desert Eagle dans la gueule de la nuit…

Andrew du se passer de son bras droit pendant plus d’une semaine, durant laquelle elle ne donna signe de vie…

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