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Le tableau d’une famille parfaite

La pièce que tout le monde attendait arrivait enfin, celle que tous ceux présents dans la salle convoitaient. L’historien approchait l’œuvre d’art de l’adjudicateur. La peinture intriguait et séduisait ses observateurs comme si elle était l’un des 7 crânes maya, entourés de tant de mystère. La scène familiale immortalisée dans l’acrylique de la toile représentait simplement une famille. Une famille composée de trois enfants, une fillette, un garçon et un nouveau-né bercé par sa mère. Par-dessus l’épaule de la maman exemplaire se tenait le père protecteur, une main sur l’épaule de sa femme et l’autre sur celle de son fils. La fille qui ne ressemblait, ma foi, pas du tout au reste de la famille était au centre du tableau.

Jake, père d’une famille de deux filles et mari dévoué apportait le fameux tableau chez lui, en guise de cadeau pour sa femme. La plus vieille de ses filles, Kaitlyn accueillie son père en lui sautant au cou, sourire aux lèvres. Il était parti dans un voyage d’affaire qui avait duré plus de 3 semaines, et cela avait très pénible pour cette dernière. Jake serra sa petite fille, que dis-je, sa grande fille dans ses bras, heureux d’enfin la revoir. Sa mère et sa soeur étaient en train de cuisiner quand ils entendirent la porte s’ouvrir, intriguées, elles s’étaient rendues sur le seuil de la porte et virent Kailtyn et son père dans une grande accolade à laquelle elles se joignirent. Quelle joie c’était de revoir enfin l’homme de la maison rentrer...

Isabelle fût intriguée cependant par la grande enveloppe de protection qui contenait probablement un cadre, selon elle. Son mari était au courant de ses goûts pour les arts contemporains et celui-ci lui faisait régulièrement des cadeaux de ce genre.

Les filles laissèrent leur mère et leur père dans leurs embrassades et rentrèrent finir continuer la préparation du repas. Elles sentaient bien qu’ils avaient besoin de retrouvailles dignes de ce nom depuis tout ce temps. Jake et Isabelle s’embrassèrent longuement voulant rattraper le temps perdu. Malheureusement pour Jake, la curiosité emporta sa douce et celle-ci se détacha de lui, se montrant intriguée par son cadeau. Tout souriant à l’intérêt que portait sa femme pour le tableau, il se rendit à l’évidence, il ne pourrait garder la surprise bien longtemps, jusqu’au souper tout au plus.

« Je l’ai acheté dans une enchère. Tout le monde la voulait, j’ai dû me battre pour l’avoir, enfin... », dit Jake, voulant impressionner sa femme par sa gentillesse.

« Merci mon héros » rétorqua Isabelle sur un ton taquin.

La soirée tourna autour du tableau, son dévoilement, le choix de son emplacement et une critique de groupe émise par la famille. Kaitlyn se montra particulièrement obsédée par cette pièce d’art contemporain car à son avis, il y avait un petit quelque chose qui clochait.

Ce n’est que durant la journée du lendemain qu’elle ne pût discerner le petit quelque chose qui l’agaçait. Le personnage qu’incarnait le père sur le tableau bougeait les yeux. Il observait, il scrutait partout dans la salle, et lorsque Kaitlyn s’approcha pour regarder si ce n’était pas une illusion d’optique ou tout simplement son imagination, les orbites cessèrent de remuer. Il était redevenu ce simple personnage peint. Malgré ce doute insistant, elle se dit que se ne devait être rien, que ce n’était pas possible, qu’elle rêvait, simplement... mais elle ne rêvait pas du tout.

Malgré ses regards persistants et lourds de suspicions, le père ne se déplaça pas d’un cheveu. Elle commençait vraiment à croire qu’elle était parano, ou un truc du genre. Cependant, elle vit de nouveau le personnage se mouvoir dans le tableau, et cette fois-ci, ce n’était plus de petits signes de yeux, c’était totalement des moulinets qu’il effectuait avec ses bras à l’adresse de Kaitlyn. Elle ne perdit pas deux secondes et cria, estomaquée. La jeune fille sortit de la pièce mais son père la saisi aussitôt de ses bras afin de la calmer. Elle balbutia quelques mots sans que celui-ci n’y comprenne quoi que ce soit. Sa mère et sa sœur descendirent les escaliers quatre à quatre, elles avaient été alarmées par les cris de Kaitlyn.

« Le tableau, il bouge… Le père là, il bougeait, regardez ! » s’exclama-t-elle. Jake, Isabelle et sa petite sœur vinrent avec elle dans le salon. Lorsqu’ils pénétrèrent enfin dans la pièce familiale, ils n’y découvrirent rien d’anormal, aucune trace de quoi que ce soit, et surtout un homme immobile sur un tableau immobile.

Kaitlyn passa les jours suivants à se demander comment elle se débarrasserait du tableau sans que personne n’y voit rien. Tant que sa mère n’y voyait que du feu, il n’y avait pas de problème, mais justement, le problème c’était que sa mère adorait son tableau alors elle ne manquerait pas de remarquer sa disparition. La jeune fille, si effrayée par le tableau qu’elle n’en dormait plus la nuit, échafaudait des plans sans queue ni tête où elle échappait par mégarde son verre de jus sur le tableau à un mètre et demie du sol (ridicule !). Elle s’imaginait même en train de prendre une bombe de peinture et d’en verser le contenu jusqu’à la dernière goutte. Elle avait tellement peur de ce tableau…

Un dimanche matin ou la famille au grand complet sauf Kaitlyn était partie faire les courses, la jeune fille prit un grand couteau de cuisine dans un tiroir quelconque et s’approcha de la pièce inestimable aux yeux de ses parents. Elle allait la brûler, c’était la seule solution d’éviter un danger dont elle ne connaissait même pas les risques. Kaitlyn commença à découper les cotés de la toile, sans précision, et lorsqu’elle en eût fini, la jeta au feu qu’elle avait préalablement préparé. Elle s’accroupit pour regarder cette… chose vivre ses derniers instants. Elle se laissa choir sur le plancher, les yeux clos, soulagée d’en avoir fini. Elle ne se souciait plus des conséquences, elle les avait sauvés d’elle ne savait quoi et c’est ce qui importait.

Elle se redressa et ouvrit les yeux. Elle posa son regard sur le cadre afin de voir le résultat de ce qu’elle venait tout juste de faire et failli mourir d’une crise cardiaque. Les morceaux de la maudite œuvre réapparaissait au fur et à mesure dans leur prison de bois. Elle brûlait toujours dans le foyer mais de la même manière qu’elle se consumait, la toile se replaçait sous forme de cendres qui reprenaient ensuite leurs couleurs… Quelle abomination ! Qu’allait-elle faire ?

Son sang ne fit qu’un tour. Elle se leva d’un bond, alla serrer la lame d’acier puis monta directement dans sa chambre dont elle claqua la porte avec force. Elle était apeurée, mais il fallait qu’elle se contrôle. Cette pièce allait agir bientôt, et il fallait qu’elle fasse quelque chose.

Le lendemain matin, elle prétexta avoir de la fièvre et elle resta au lit toute la matinée, pendant que son père travaillait. Quand sa mère sortit enfin pour son atelier de poterie, elle sauta de son lit, se vêtit et prit le tableau sans ménagement. Elle allait l’enterrer, et il y resterait, coûte que coûte.

Kaitlyn marchait dans sa cour d’un pas régulier, le cadre dans le sac destiné à sa protection. Elle était en direction de la forêt pas très loin de chez elle. La jeune fille avait également amené une pelle. Malheureusement pour celle-ci, la pluie s’abattit sur la ville au moment même ou elle commençait à creuser la tombe de l’objet maléfique qui jouait le rôle d’une innocente décoration.

Kaitlyn creusait depuis plus d’une heure, et cela avait été la plus pénible de toute sa vie. Elle était contente d’avoir enfin fini quand elle jeta l’horrible assemblage d’acrylique, de toile et de bois au fond du trou. Elle le remplit de terre qu’elle venait de creuser puis partit en courant, pelle en main jusque chez elle.

Elle rentra par la porte avant, trempée jusqu’aux os, incapable d’arrêter ses horribles tremblements qui possédaient son corps. Elle frissonnait de froid et de peur. Elle était débarrassée du tableau, enfin, et c’est maintenant qu’elle réalisait ce qu’elle venait de vivre. Elle monta au deuxième, abasourdie puis se changea. Kaitlyn redescendit ensuite et décida d’aller se laisser lécher par les flammes de l’âtre. Soudainement, elle laissa tomber la serviette avec laquelle elle essuyait ses cheveux. Au-dessus du foyer se tenait, attaché par le clou dans le mur, le même cadre qu’elle venait de condamner. Elle ne pouvait rien y faire… Elle était maudite !

Kaitlyn se laissa tomber sur le sol à genou et déversa une foule de larmes. Elle était désespérée. Elle ne prêta même pas attention au mouvement de l’homme sur le papier. Il lui montrait la bibliothèque du salon. Elle n’y comprenait rien, mais ne voulait pas comprendre non plus. Elle était convaincue qu’il n’y avait rien à faire.

Le soir venu, elle s’étendit dans son lit, au bord de la folie. Cela faisait une semaine qu’elle évitait sa famille et ses parents commençaient à la prendre pour un énergumène ou encore une folle. Désespérée, elle ne savait plus quoi faire. Pendant la nuit, elle fit un rêve. Dans celui-ci, elle revoyait la scène ou l’homme sur la toile lui pointait la bibliothèque et subitement, elle atterrissait devant l’hôtel de ville contenant la bibliothèque municipale.

Soudainement, elle se tira de son sommeil, détrempée de sueur, effrayée. Le rêve avait semblé si réel et… Pourquoi avait-elle rêver cela ? Bonne question. Elle approfondit son songe et se rendit compte qu’il contenait un message subliminal. Peut-être que pour détruire l’œuvre il fallait qu’elle y aille d’une approche différente, peut-être en faisant des recherches sur l’auteur elle trouverait quelque chose d’intéressant.

Elle ne dormit plus de la nuit mais prit bien soin de chercher la signature de l’auteur sur le cadre. Elle y était. C’était un certain Adam Parker, probablement un peintre anglais. Kaitlyn planifia la journée du lendemain, elle serait encore malade, et elle se rendrait à la bibliothèque pour chercher des éléments sur l’auteur ou sur la peinture.

C’est ce qu’elle fit aussitôt le soleil levé. La jeune fille grimpa sur sa bicyclette, se dirigeant vers l’hôtel de ville. Elle avait l’intention de découvrir tout ce qui concernait cet Adam. Lorsqu’elle fût au seuil de la porte, elle se dit qu’il ne fallait pas qu’elle se décourage dans l’éventualité où elle ne trouvait rien. Kaitlyn s’engouffra dans la sombre et immense salle qui contenait tous les livres de la ville et se rendit à un poste informatique pour chercher des articles ou des livres en relation avec M. Parker. Elle trouva quelques livres biographiques et pris en note leurs emplacements. Elle vit aussi un article de journal qu’elle lût aussitôt.

Après avoir amené tous les ouvrages disponibles sur l’auteur de l’œuvre d’art qui se tenait innocemment dans son salon, elle commença à les feuilleter. Elle s’arrêta au passage de sa biographie ou il nommait toutes ses œuvres :

- L’armure du samouraï
- L’hiver chez les Norvégiens
- L’amour au 16e siècle
- Vive les oiseaux
- Quinze victoires, une seule défaite
- La famille parfaite…

Les titres étaient tous explicites et le dernier attira l’attention de Kaitlyn. Elle se rendit à la page de sa critique et description puis en parcourant les lignes en zigzag, elle aperçut un paragraphe qui parlait de sa création. Apparemment, la famille avait existé dans le Michigan à une certaine époque. Le mari s’appelait Bern Prescott, sa femme et ses enfants avaient le même nom sauf la fillette, qui était adoptée.

Intrigué par la famille, la jeune fille se lança sur le poste informatique à la recherche de quelque chose sur les Prescott. Elle ne trouva qu’un article de journal parlant du meurtre de la famille entière. M. Bern aurait assassiné toute la famille à l’aide de son vieux rasoir et se serait lui-même tranché la gorge par la suite…

Kaitlyn se figea. Elle était convaincue que c’était le destin qui attendait sa famille. Ils allaient mourir, tous, sa mère, sa petite sœur et son père. Prise d’une angoisse infernale et d’une impulsion courageuse, l’héroïne de la famille se jeta sur son vélo après avoir passé les portes à la course. Elle pédala comme une forcenée et défonça quasiment la porte d’entrée rendue chez elle.

La porte se plaqua au mur et Kaitlyn discerna un liquide coulant de la cage d’escalier jusqu’au sol, devant elle. Elle s’avança, évitant la mare puis leva les yeux au plafond. Là, au deuxième étage se tenait son père, la main pleine de sang près de sa gorge, debout, agonisant. La jeune fille, dévastée, hurla pendant quelques instants avant de se faire surprendre par la porte d’entrée qui se referma d’elle-même. Derrière, se tenait une petite fille avec un rasoir à la main.

Kaitlyn voyait bien qu’elle ne jouait pas aux adultes avec la lame effilée et ne pût s’empêcher de crier de frayeur. Elle glissa dans la mare de sang en tentant de s’enfuir et se releva d’un bond en sentant la présence machiavélique s’approcher dans son dos. Elle fonça au salon pour essayer une dernière fois de détruire le cadre. Elle pénétra dans la salle puis stoppa net. Sa mère et sa sœur étaient assises sur le canapé, la gorge ouverte laissant apparaître leurs colonnes vertébrales et certains de leurs vaisseaux sanguins. Kaitlyn dans son élan, tenta de se jeter sur la toile mais une chose froide et acérée se planta devant sa gorge et glissa sur le long, lui ouvrant le cou. La jeune fille qui avait tout tenté avait échoué et était maintenant étendue sur le tapis de la salle principal, se vidant de son sang. La petite fille, quant à elle était la fille adoptive du tableau.

Quelques mois plus tard, après le carnage, l’œuvre d’art retournait en circulation et c’était aujourd’hui qu’elle venait d’être vendue à une collectionneuse d’art local. Elle rentrait chez elle, la peinture au bras, fier de son achat…

J'ai tout lu, c'est très bien écrit Vive Supernatural