Visite quotidienne

" Entrez mademoiselle, le docteur va vous recevoir. "

Nathanaëlle remercia l'infirmière, et entra dans le cabinet du docteur. Elle jeta un coup d'oeil aux murs blancs, au mobilier des plus simple, et soupira. Encore un nouveau medecin. Encore de nouveaux examens neurologiques. Et encore de nouveaux soucis. Nathanaëlle en avait assez, seulement elle etait consciente qu'elle avait plus que besoin du corps medical. Sans medecins, pas de calmant. Sans calmant, des crises de violence qui la couperaient à nouveau du monde.

Elle se laissa tomber sur une chaise, et ota son gilet. Aujourd'hui, il faisait humide. Elle retrouvait presque le temps dont elle avait l'habitude en France. Et cela lui plaisait bien. Cette odeur de terre mouillée lorsqu'elle avait quitté son dortoir...

Elle ferma les yeux et se rememora lorsqu'elle etait plus jeune, et qu'elle ouvrait la baie vitrée en grand apres un orage, pour laisser pleinement entrer la fraicheur qu'apportait l'orage.
Mais ici, il n'y avait pas encore eu d'orage. Néanmoins, le ciel couvert laissait supposer qu'il allait bientôt pleuvoir.

Nathanaëlle se demanda à quel genre de medecins elle allait avoir affaire. Elle en avait vu des tas, surtout lorsqu'elle avait été mise dans l'aile psychiatrique de l'hopital de Paris. Elle doutait que le medecin qu'elle allait rencontrer aujourd'hui soit d'une quelconque utilité, à part pour continuer à lui prescrire des medicaments qui l'empecheraient de faire des crises.

Elle poussa un nouveau soupir, et croisa les jambes.

" Oui ... D'accord ... Mais je viens de te dire oui ! "

La voix d'un Rick Bolton agacé raisonnait dans le couloir de l'Hôpital de Cambridge. Il était de garde au service psychiatrie ce jour là. Quand il n'avait pas cours à Harvard il venait donner un côté pratique à la théorie qu'il enseignait. Ancien grand chirurgien, il avait tout de suite été accepté par l'hôpital, sa présence dans l'établissement était signe d'un prestige futur qui ferait connaître la ville pour autre chose que son Université.

Ce jour là donc, Rick venait d'arriver à l'hôpital, il avait été se chercher un café, avait salué les infirmières avec qui il s'entendait bien contrairement à celles de Seattle d'où il venait. Il était surchargé, il avait un café dans la main, 10 dossiers sous le bras, un portable dans l'autre main et sa blouse n'était qu'à moitié fermé, laissant voir son jean troué et sa chemise dont les boutons étaient fermés en décalé.

A l'autre bout du film c'était Kim, sa femme. Ca ne faisait pas 1 heures qu'il était parti de chez lui qu'elle l'emmerdait déjà. Il soupira en ouvrant la porte de sa salle de consultation grâce à sa jambe droite. Une jeune femme était assise sur une chaise et semblait l'attendre. Il lui sourit, réflexe professionnel, sourire vide, sans joie, juste accueillant et rassurant, un sourire de médecin ...
Se rapprochant de la table, il fit tomber sa pile de dossiers dessus et posa délicatement son café.

" Kim ? Kim ! Ecoute moi ! KIM ! Je suis au travail ! Je te rappellerai plus tard ... Le chien ? Ahhh mais tu m'emmerdes avec le chien! Laisse le tranquille un peu ! " S'emporta Rick en faisant de grand geste avec son bras libre comme pour chasser un mouche gênante.

Il jeta un coup d'oeil à sa patiente et s'excusa du regard, pour un premier contact c'était plus qu'original et pas du tout professionnel tout ca.

" Oui, c'est ca, si tu veux ... Mais oui ... Aller, à ce soir ... " Dit-il d'une voix impatiente avant de raccrocher sans lui laisser le temps de répondre.

Il coupa le portable pour éviter tout autre appel et alluma son biper. Il rangea le tout dans les poches de sa blouse, referma le vêtement pour reprendre un peu de contenance et attrapa le dossier de la jeune femme. Il l'avait survolé la veille au soir quand Kim l'avait obligé à dormir sur le canapé ...

" Miss DuBois ... 18 ans, Française et caractérielle ... " Récita-t-il le nez plongé dans le dossier. Il soupira, ce rapport était nullissime. Le dossier retrouva sa place sur la table et Rick vint s'asseoir aux côtés de la jeune femme.

" Je m'appelle Rick Bolton, 30 ans, Américain et très confiant quant à la rémission de ton agressivité maladive. " Dit-il en souriant et en tendant la main.

Il se doutait que Nathanaëlle avait déjà vu défiler devant elle autant de spécialiste que lui et décida de lui éviter le blabla habituel que l'on servait aux patients.

Cela faisait cinq minutes qu'elle attendait, et elle pouvait le certifier pour avoir le regard rivé sur sa montre en argent. Ses pensées derivaient, et pour une fois elle les laissa faire. Elle songea que cette montre, elle l'avait acheté pour son depart aux USA. Une belle montre fine, en argent pur, delicatement ouvragée, qu'elle avait commandé sur mesure, en dessinant les motifs elle même : une paire d'ailes entourant le cadran. Les deux aiguiles etaient en diamants. Elle l'observa un moment, puis se dit qu'elle devrait peut-être en acheter un autre. Celle avec le minuscule saphir qu'elle avait vu dans cette boutique de la ville. Elle coutait une petite fortune. Mais peu importe.

Cinq minutes 45 secondes. La porte s'ouvrit enfin, laissant apparaitre un homme à l'allure negligée, la chemise mal boutonnée, et avec un air debordé sur le visage. Il parlait au telephone, aussi Nathanaëlle le laissa-t-il terminé sa conversation, sans toutefois dissimuler son leger sourire. Enfin un medecin qui avait une vraie vie, autre que celles de ses patients.
Lorsqu'enfin il coupa son telephone, ce fut pour jeter un coup d'oeil au dossier de Nathanaëlle, et celle-ci deglutit, mal à l'aise. Elle avait toujours terriblement peur de comment allait reagir ceux qui apprenait de quoi elle souffrait, si tant est que cela ait un nom.

Comment l'avait-il qualifié? Caracterielle? Nathanaëlle songea amerement qu'elle aurait nettement preferé n'être que caracterielle, mais quand on commencait à tout foutre en l'air dans une piece avant de s'ecorcher le visage avec ses ongles, on pouvait se demander si on avait affaire à une caracterielle, ou à une cinglé.

Elle le regarda avec apprehension, et la lassitude prit la place de la peur. Elle en avait rencontré, des medecins qui se pretendaient vos amis, qui se mettaient au même niveau que vous et qui vous tenaient des discours aussi assomants qu'inutiles.
Aussi eut-elle un leger sourire lorsqu'il se presenta, mais ses yeux trahissaient nettement à quel point elle en avait assez de tout ce cirque.

" Que va-t-il se passer maintenant? Vous allez me poser des questions sur ma vie de tous les jours? Savoir si je mange bien, si je fume, si je bois ou si je me drogue, savoir si je dors bien, ce qui me met en colère ou ce qui m'enèrve. Et puis vous allez m'emmener faire des examens approfondis, peut-être un scanner, pour determiner si je n'ai pas une tumeur, ce qui expliquerait mes crises de violence. Peut-être même des prises de sang, on m'en a tellement fait... "

Elle deplia son bras gauche, montrant de vilaines traces de piqures, datant de l'epoque où on lui faisait faire des dizaines d'examens sans utilités.

" Et pour finir, vous allez soit me diriger vers un de vos confrères, parceque je suis un mystère pour vous et que les mystères c'est du travail en trop, et dans ce cas là nous ne nous reverrons plus jamais, soit vous allez me prescrire des calmants à prendre regulierement, et dans ce cas là nous ne nous reverrons que tous les 6 mois pour renouveller l'ordonnance. "

Elle avait dit cela d'une voix terne, et lorsqu'elle se tourna vers le medecin, ce fut pour le gratifier d'un sourire sans joie.

" Enchanté docteur Bolton. "

Et elle lui serra la main.

Pour la première fois elle avait en face d'elle quelqu'un de different, quelqu'un qui ne se prenait pas pour le centre du monde, qui ne considerait pas ses patients que comme des êtres sans interets tout juste bon à être etudiés, et qui au moins la regardait dans les yeux. Elle avait affaire à un homme confiant, mais qui ne se prenait pas pour un sur-homme uniquement parcequ'il sort d'une grande ecole de medecine. Elle avait affaire... peut-être à un humain normal.

Et cela la changeait. D'ordinaire, on la regardait, on l'auscultait sous tous les angles, on parlait d'elle à la troisième personne alors qu'elle etait dans la même pièce -comme elle pouvait detester cette façon de traiter les gens!-, et au final on ne pouvait rien pour elle.
Mais là, l'homme qui se tenait en face d'elle, et bien pour commencer il n'etait pas refugié de l'autre coté de son bureau, un bon point pour lui. Et puis, il s'etirait -ce qui pouvait paraitre anodin, mais qui prenait toute son importance lorsqu'on avait toujours affaire à des medecins donnant l'impression de s'être assis sur une chaise recouverte de punaises.
Et puis, au lieu de parcourir son dossier d'un bout à l'autre, puis d'avertir ses collegues afin d'en discuter avec eux avant de decider d'une serie d'examen ennuyeux et parfois douloureux, il lui posait une question. Une simple question. Et pour avoir son avis à elle.

Cependant, elle resta sceptique, quand bien même elle avait de toute evidence affaire à une nouvelle race de medecins. Elle fut surprise par la question, et en resta perplexe en voyant qu'aucune autre ne venait. Alors elle se mit à reflechir, attentivement.
Quand cela avait-il commencé? Elle ne savait plus très bien. Elle oubliait de manière intentionnelle tout ce qui pouvait lui rappeler ses nombreuses crises. Seuls les medecins avaient une theorie que Nathanaëlle considerait comme foireuse, mais qu'elle n'osait contrer, par peur de decouvrir autre chose sur elle, quelque chose de bien pire que de tout casser dans une pièce.

" Les medecins que j'ai consulté ont pensés que c'etait une forme nouvelle d'agoraphobie, et qu'en fait, je n'etais pas faite pour être entourée. Que je devais rester seule, tout le temps. Alors j'ai été enfermée chez moi pendant quelques années. Et puis on m'a eloignée de ma maison. Seulement, je n'ai pas l'impression... que ca change quoi que ce soit. Je... crois... enfin ils ont raison, surement. Je ne suis pas bien, avec les autres. Et ils ont peur de moi. Mais moi... "

Elle s'interrompit. Personne ne lui avait jamais demandé son avis sur la question, et elle n'avait jamais dit ce qu'elle pensait de tout cela. Elle plissa les yeux.

" Je ne sais pas trop. Peut-être que je n'aime pas les gens. Maman me disait... "

Elle s'interrompit à nouveau, et le sourire qui avait commencé à naitre sur ses levres à l'evocation de sa mère disparut.

" Elle disait que le monde est fait de mauvais, et de gentils. Elle disait que j'etais gentille, et que je ne devais pas me laisser influencer par les mechants. Mais au final, une fois qu'elle et père sont partis, je suis devenue mechante. C'est pour ca que j'ai ces crises de violence. Je suis mauvaise. "

Son explication etait tout aussi foireuse que les hypotheses des medecins, et elle en avait conscience. Mais les mots qui sortaient de sa bouche ne semblaient pas refleter ce que son âme ressentait, et qu'elle ne comprenait toujours pas : la mort de ses parents pesait sur sa conscience. Elle en souffrait. Terriblement. Et la compagnie de personnes "mechantes" l'avaient obligée à taire cette douleur, qui ressortait sous forme de violence.